30.4.08

Entre deux vérités

"Si seulement je pouvais rattraper le passé,
Je saurais qu'il n'est qu'un double de toi."
(Aurélie Konaté)
J’ai fait tomber mon verre en ramassant mes affaires. La tête ailleurs. J’avais hâte de voir tes yeux noisette, de toucher tes tempes d’ébène, moi, avec mes doigts juvéniles. J’ai raflé un éclat de verre au sol, ça m’a coupé le bout de l’index. Une goutte de sang a perlé, j’ai imaginé tes lèvres sur le bout de mon doigt, ta langue effleurant ma peau, ma blessure. Mes yeux se sont fermés le temps d’une seconde, alors que l’idée a provoqué un vertige incroyable de douceur et de désir. J’ai dû m’asseoir sur la banquette brune, au milieu de mes livres ouverts, de mes histoires romantiques. Au milieu de mon attente froissée.

Les sillons de la pluie contre la vitre, le ciel blafard, ni blanc, ni noir. Notre rendez-vous manqué. Autour de moi, des gens occupés à prédire leur avenir, à communiquer avec le néant, autour de moi, des gens affairés à des trucs au fond si futiles, alors qu’un cœur hurle tout près, si près. Des larmes chaudes sur mes joues, puis un soupir, étouffé. J’abandonne ma tête vers l’arrière, je sens le mur froid contre ma nuque.

Un soir, tu as posé ta main chaude sur ma nuque. Tu as fermé les yeux avec moi, tu jouais ta musique contre ma peau frémissante. Je tombais sous tes mains, ce soir-là. Maintenant, j’ai si froid. Ça me paraît bien loin, tout ça, presque irréel, au fond. Ou alors c’était un rêve. Peu importe. J’aime imaginer tes mains, tes yeux, j’aime jouer de ton corps dans le noir de mes chimères, j’aime que tu m’aimes, pour un moment. Dans ces instants, à moi, à toi, dans ces songes fous, je deviens une autre. Je suis audacieuse et amante, je suis tienne et tu es mien ; tout est possible. Nous entrons dans cet univers qu’est l’illusion de nos amours passionnées, alors que tout autour n’est que brume opaque. Alors que nous ne sommes que deux amants, le temps d’un moment.

L’heure est déjà passée, près de moi, un bruit de verre. La pluie s’acharne dehors, sur le pavé de la place publique. Le sang a fait une petite tache sur la table. Je redeviens moi, je redeviens celle qui ne pourra t’appeler ce soir, qui ne pourra entendre la raison de ton absence. Encore une fois. Je quitte la banquette brune et le mur froid, j’enfonce le nez dans mon foulard. Dehors, je prendrai le chemin du Nord, et je marcherai loin, loin vers le Nord, je marcherai alors que tu m’oublieras, alors que je ne serai jamais celle que tu aimeras. Je ne reviendrai pas.

5 commentaires:

Anonyme a dit...

Très beau texte !

dean a dit...

Bon voyage.

Cool texte. "Blafard", j'aime bien ce mot.

"Un coeur qui hurle tout près": On ne sait jamais qui est à nos côtés...

beck a dit...

Merci à vous deux! C'est une nouvelle écrite il y a longtemps.
Merci...

Karyne a dit...

Le temps passent mais y'a des choses qui ne changent pas... Tu écris toujours aussi bien ;)

beck a dit...

Merci, cocotte! J'suis aussi bien contente de te lire, de temps à autre.